If you see her in the art crowd, you would not miss her. Yes, she is that stylish French woman with tanned skin and a big smile on her face. Her name is Nathalie Fournier, the collector from Lyon. “I hate the term ‘collector’”, she protested. Yet, she’s the collector who takes the risks to buy young and early, and over the last decade she has gathered 300 works from a whole new generation of artists. “It’s too easy to invest in famous artists, it’s just like styling yourself with Hermès or Louis Vuitton”. Translate – unchallenging!
Nathalie goes solo in art collecting. While most collectors admit that the passion for art is personal, her challenge is to walk out of her comfort zone of a protective family and husband, to find her own way in the maze of contemporary art, and to make decisions on her own in
building the collection. “When you are collecting on your own, you have all the weight on your shoulders”! Nathalie tries to take things easy, never getting frustrated over a missed piece. Contrary to those collectors who are really obsessed with art, she has no regret. “I am not bulimic!” She declared.
At the occasion of the Lyon Biennale, Nathalie opens her house and gives a warm party to the art crowd from all over the world. You can visit her collection as well as the artists-in-residence pavilion where she hosts young artists to work in Lyon for a certain length of time. This is the place to be if you are in Lyon this week!
Selina Ting, Lyon, 15 Sept 2013
Une femme qui collectionne
Selina Ting [ST] : Nathalie, vous êtes la seule collectionneuse que je connais personnellement, et vous êtes la première collectionneuse que j’interview. Qu’est-ce que c’est être femme et collectionneuse ? Y-a-t-il des différences entre un collectionneur et une collectionneuse ?
Nathalie Fournier [NF] : C’est comme les différences entre les hommes et les femmes ! [Rires]
Je connais des couples de collectionneurs, mais les femmes qui collectionnent sans leur mari, c’est vrai que je n’en connais pas non plus! Mon mari ne s’intéresse pas tellement à l’art, donc, je suis partie un peu seule dans cette aventure.
Je ne pourrais pas parler pour toutes les collectionneuses… mais, si vous voulez, peut-être que les femmes sont plus dans l’esthétique. Nous sommes un peu plus en harmonie avec nous-mêmes, et peut-être avons nous moins tendance à acheter des œuvres qui nous dérangent.
Par contre, je ne comprends pas comment les couples-collectionneurs fonctionnent… Mon observation c’est que c’est souvent le mari qui aime l’art, qui entraine sa femme dans l’art et la plus part du temps c’est lui qui paie. De même, malgré l’évolution du statut social de femmes, les marchands accordent plus d’attention aux hommes qu’aux femmes. D’ailleurs, je me demande comment ça se passe quand les avis au sein du couple divergent sur une œuvre. Certainement que comme dans la vie conjugale, il y a toujours un des deux qui est obligé de faire plus de concession par rapport à l’autre. Chez un couple-collectionneur, qui a le dernier mot ? Je crois que souvent, c’est l’homme ! C’est une question de pouvoir d’achat, mais c’est aussi une question de regard social ! Nous les femmes, sommes assez intelligentes pour laisser la gloire sociale à notre mari ! Maintenant, il y a toujours des exceptions, le couple-collectionneur marseillais Josée et Marc Gensollen par exemple, pour qui j’ai beaucoup d’admiration, se nourrissent l’un et l’autre intellectuellement. Ils sont sur la même longueur d’onde quant à leur rapport respectif à l’art conceptuel, c’est certainement très intéressant, très enrichissant !

ST : Qu’est-ce que vous avez sacrifié pour l’art ?
NF : Du temps pour ma famille ! Depuis que mes filles sont grandes et indépendantes, je voyage beaucoup. Mais au-delà de l’art, c’est aussi pour moi un moyen de réapprendre à vivre différemment après une vie plus stable et plus confortable avec mes filles et mon mari. Je fais cinq à six voyages par an sans mon mari ce qui n’est pas facile pour un couple. Maintenant ça se passe bien pour nous parce que ça fait des années. Mais au début ce n’était pas évident de prendre l’avion pour la première fois sans mon père, mon mari ou mes enfants… Rencontrer tous ces gens du milieu d l’art, a été une nouvelle expérience pour moi ! Ça m’a fait énormément évoluée, ça m’a grandie et enrichie sur plein de points!
ST : Êtes-vous par profession collectionneuse ?
NF : [Rires] Non ! Souvent les gens me demandent ce que je fais dans la vie, je ne peux pas dire « rien » ! C’est terrible ! [Rires] Disons que si tu es ce que tu fais dans la vie, ce que tu passes le plus du temps à faire, là, oui, la plupart de mon temps est dédié aux activités ou aux évènements liés à l’art et à la collection. Souvent, les gens me présentent comme collectionneuse, mais c’est terrible ! Déjà, je déteste ce terme ! Puis, je ne me sens pas à l’aise à l’égard des gens qui sont pour moi de vrais collectionneurs ! Je préfère le terme « amateur », mais profession « collectionneuse », non ! Je pense que dès le moment où un collectionneur devient trop professionnel, il risque de devenir un marchand !
Une collection qui s’exprime

ST : Comment vous-êtes vous embarqué dans cette aventure de l’art contemporain ? Si ce n’était pas votre mari qui vous entrainait dans l’art [rires] alors, y-a-t-il une influence extérieure ?
NF : Il y a une tradition de collectionner dans ma famille. Mes grands-parents étaient collectionneurs de mobilier du 18ème et mon père était collectionneur d’art africain. J’ai grandi dans un environnement entourée de belles choses de l’époque. Alors que ça vous n’étonne pas si je vous dis que mon premier achat était un tableau du 19eme ! [Rires] J’avais dix-huit ans ! Je me suis mariée à vingt ans et je suis toujours restée en contact avec l’art.
Ma sœur est artiste. Mon père était industriel mais il était aussi photographe amateur. A la maison, on a toujours eu des photos de Sarah Moon, de William Klein ou d’ Helmut Newton. Pour mes 35 ans, mon père m’a offert une photo de William Klein qui marque le début de ma collection photographique contemporaine. Aujourd’hui, je me suis un peu écartée de la photographie.
Ça fait plus de dix ans que je collectionne de l’art contemporain de manière régulière et sérieuse. J’ai trois filles et je partage avec elles ma passion pour l’art. Il y a toujours de l’art dans leurs chambres et on visite beaucoup d’expositions ensemble. Maintenant elles sont grandes ce qui me permet de consacrer plus de temps à l’art, de fréquenter les galeries ou les musées, les foires et visiter les ateliers d’artistes.
Depuis ces dix dernières années, l’art est devenu pour moi une vraie passion, une passion qui ne va pas obligatoirement dans le sens possession et achat. Je ne suis jamais frustrée et je n’ai aucun regret contrairement aux autres personnes qui sont vraiment obsédées par l’art. Je ne suis pas boulimique !
ST : Tout à l’heure vous avez dit que les femmes sont plus dans l’esthétique et dans l’harmonie. Est-ce que c’est bien ces deux mots qui peuvent plus ou moins définir votre collection ?
NF : Parfois il y a des gens qui me disent que ma collection est très « esthétique », un mot qui peut être offensif pour certains collectionneurs, mais moi, je ne le prends pas comme une critique. Je pars toujours du principe que je n’ai pas envie de vivre ou de faire vivre les gens que j’aime avec des choses gênantes qui puissent heurter, choquer leur sensibilité. Ça ne veut pas dire que je n’apprécie pas ce genre d’art ou le travail des artistes qui ont un discours politique. Je suis contente de voir les œuvres plus provocantes au musée, ou chez d’autres collectionneurs ou dans les livres. Mais à la maison, j’ai besoin de choses qui me rendent sereine, qui me parlent et qui sont pour moi intelligentes.

ST : Cela fait maintenant une dizaine d’années que vous vivez intensément votre passion pour l’art, comment a évolué votre rapport à l’art justement? Votre collection a-t-elle évoluée ? Vous voyez-vous différemment ?
NF : On évolue avec le temps, ainsi que la collection. Il y a des œuvres que j’adorais il y a dix ans mais je n’en achèterai plus maintenant parce qu’avec l’expérience, la connaissance, les rencontres, notre goût évolue. Avant, j’achetais plus impulsivement, maintenant, je prends mon temps pour réfléchir et pour reconnaitre le lien historique dans le travail de certains artistes.
On construit une collection petit à petit et je ne pense pas que ça soit intéressant d’arriver dans ce milieu juste pour bâtir une collection d’art en un temps record. C’est par le hasard des choses et des rencontres que je me trouve avec 300 pièces. J’ai été un peu « bouffée » par mon amour pour l’art, parce que c’est entre autres beaucoup de temps, beaucoup d’énergie, beaucoup d’argent.
La collection reste très personnelle car j’achète avec mon cœur. Pour moi, c’est important qu’une collection corresponde à la personnalité du collectionneur. Il y a toujours des souvenirs d’une personne, d’une histoire ou d’un moment de la vie qui sont cachés dans un objet, même s’il est de mauvais goût. Je préfère aller chez quelqu’un qui assume son mauvais goût, parce que c’est sa vie qui s’exprime dans sa collection. C’est pour ça que je n’ai jamais travaillé avec les «art advisors ». Je n’achète pas pour gagner de l’argent. J’espère que ça se voit dans la collection parce qu’il n’y a jamais eu de relation à l’argent là-dedans.Qui va se mouiller ?

ST : Votre collection est principalement axée sur les jeunes artistes. Comment voyez-vous votre démarche par rapport au marché de l’art aujourd’hui et aux valeurs historiques et économiques de la collection?
NF : Une chose évidente c’est que l’on prend plus de risque en achetant de jeunes artistes. J’aime bien défendre les jeunes artistes et j’essaie d’avoir plusieurs œuvres du même artiste. Je ne me prends pas pour un mécène, mais ce qui me fascine c’est qu’à l’époque, quand un mécène défendait un peintre, il achetait toutes ses peintures, il soutenait son atelier, il devenait le plus grand collectionneur de l’artiste ou du mouvement, et était ainsi reconnu comme un grand connaisseur! Maintenant, les collectionneurs achètent une ou deux œuvres de plusieurs artistes et deviennent des collectionneurs de nom !
Un collectionneur-marchand a déclaré qu’il ne pouvait pas y avoir de collection intéressante si l’on achetait des œuvres à moins de dix milles euros. Je trouve cette sorte de discours débile. Premièrement, il y a une différence entre la collection intéressante qui a un vrai regard sur l’époque, sur l’histoire, sur l’esthétique ou sur la politique et la collection montée autour d’un certain argent.

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ST : Cette question du budget, j’entends justement une autre version que le contraint du budget oblige les collectionneurs de bien réfléchir avant une acquisition, ainsi que la collection devient plus solide. C’est certainement plus audacieux d’acheter des œuvres de jeunes artistes. Mais il y a beaucoup plus d’excitation et de satisfaction quand les artistes « émergents » deviennent plus « établis ».
NF : J’essaie d’acheter au tout début de la carrière d’un artiste auquel je crois. Je ne vais pas attendre des années ! Je me demande si j’étais contemporain de Robert Rauschenberg ou de Marcel Duchamp, aurais-je le courage de les acheter jeune et tôt ? J’aimerai bien dire « oui » mais je ne sais pas. C’est facile quand on a l’argent, mais de te mouiller quand l’artiste est jeune et d’acheter tôt, c’est prendre des risques. Dix ans ou vingt ans après, quand l’artiste est dans tous les bons musées, c’est facile de dire « j’ai ses œuvres dans ma collection», oui, mais ce qui est intéressant c’est de voir à quel moment on a acheté l’œuvre.
J’ai un budget d’un quart de celui d’autres collectionneurs! [Rires] Quand les jeunes artistes sont devenus connus et trop chers pour moi, je suis ravie pour eux et je suis également ravie pour moi parce que j’ai fait de bons choix et que j’ai fait confiance à l’artiste et à moi-même ! J’ai acheté tôt le travail de Rebecca H. Quaytman, en 2008, avant qu’elle soit rentrée chez Gladstone Gallery. Maintenant tout le monde parle d’elle. François Pinault a acheté beaucoup de ses pièces, tout le monde en veut ! Mais il fallait l’acheter quand son tableau coutait quatre milles euros !
ST : Vous parlez de mécène, ça m’a fait penser à Leo et Gertrude Stein. Ils ont acheté la première pièce de Picasso à 150 francs au marché aux puces en 1905. Aujourd’hui on reconnait l’importance des Stein dans la carrière de Picasso. C’est eux qui ont fait connaitre son travail et c’est également eux qui ont fait monter le prix jusqu’à un niveau inabordable pour eux. Ils n’ont pas pu concurrencer avec les Shchukin ou les Rockefeller. Après, ils ont commencé à collectionner des artistes encore plus jeunes que Picasso, mais leur influence sur la carrière des artistes était beaucoup moins évidente.
NF : Oui, souvent un cycle qui se ferme et on passe à d’autres artistes. Mais on peut toujours garder une bonne relation avec l’artiste. L’interaction entre collectionneurs et artistes peut allez au-delà d’une simple acquisition. Souvent, les artistes et les galeristes sont devenus nos amis ! On a une famille d’artistes et on a une famille d’amis! Même s’ils sont trop chers, l’amitié reste là parce qu’on a vécu une période ensemble.
ST : Quelles sont vos observations sur le marché de l’art des jeunes artistes ?

NF : Le marché de l’art a beaucoup changé depuis quelques années. J’essaie surtout de défendre de jeunes artistes, mais je trouve que maintenant les prix de jeunes artistes sont devenus exorbitants. Il y a de jeunes artistes qui m’ont dit : « oui, mais si on n’est pas assez cher, on n’a aucune crédibilité ! ». C’est triste ! Parfois, pour le prix d’une œuvre d’un jeune artiste, on peut déjà acheter une œuvre historique d’un artiste plus connu. En même temps, ça peut être intéressant de compléter la collection avec des artistes de différentes générations.
Maintenant, il y a une espèce de nouvel vague de collectionneurs qui achètent des objets faciles, plaisants visuellement et accessible tout de suite ! Quand on va aux foires, on voit les collectionneurs s’arrêter toujours devant les mêmes choses – des choses agréables au premier regard mais sans aucune réflexion derrière… Mais peut-être que les artistes aussi sont un peu plus furtifs, peut-être que pour vendre, ils sont capables de faire des choses plus faciles pour que plus de gens puissent vivre avec leurs œuvres ! Damien Hirst, ce n’est pas possible ! Qui peut encore acheter un Hirst !
Mais bon, il y a quand même de jeunes artistes brillants qui font un vrai travail et qui ont une vraie réflexion même si certains ne sont pas assez présents dans le circuit artistique. Les galeristes ont toujours la pression de la rentabilité, ils ne peuvent pas montrer le travail d’un artiste difficile à comprendre dans une foire ! Ils ont besoin de rentabiliser leur stand ! Donc, de vendre et vendre des œuvres accessibles!

ST : Comment découvrez-vous les jeunes artistes ? Plutôt dans les foires ou les galeries ?
NF : Plutôt dans les galeries. Il y a quelques galeries que j’apprécie et que je fréquente. C’est tellement enrichissant de trouver des galeries avec qui on partage le même regard et le même goût. Même si je suis à Lyon, loin de tout [Rires], ils me tiennent toujours au courant de leur programmation. Puis je voyage beaucoup, je rencontre des artistes qui me font découvrir d’autres artistes. Il y a une sorte de soutien mutuel entre les jeunes artistes bien que cela devienne de moins en moins évident.
Les foires ne sont pas l’endroit idéal pour découvrir les jeunes artistes et puis elles sont trop nombreuses. Il y a 4 foires satellites autour de la FiAC à Paris et il y a 17 foires autour de l’Art Basel Miami. C’est incroyable ! D’ailleurs cette dernière n’est même plus exclusivement qu’une foire d’art. Il y a tous les gens du milieu de la mode, les célébrités… A Miami, courir les soirées est devenu un sport! Le monde de l’art est aujourd’hui un grand réseau social. C’est une manière pour les gens de rencontrer du monde, d’agrandir leur cercle, c’est une façon de vivre. Tout ça m’amuse ! C’est vrai que j’adore aller à New York pour visiter les foires, les galeries, retrouver mes amis. Ça me fait sortir de temps en temps de ce que je connais, de ma routine. Mais après tout ça, je suis très contente de retrouver ma tranquillité chez moi à Lyon.
Acheter aux foires… Ce qui est dommage aujourd’hui c’est que l’on voit un peu chez tous les collectionneurs les mêmes choses, les mêmes artistes, on entend les mêmes discours… tout est pareil ! Ils achètent les mêmes dizaines d’artistes et ils veulent que les prix explosent! L’art est aujourd’hui est un faire valoir social. C’est terrible ! Ces dernières années, le milieu de l’art m’a j’avoue un peu refroidi Il y a trop de tout !

ST : Et le marché français ?
NF : Je soutiens le marché français, je préfère acheter auprès des galeries françaises quand les artistes que j’aime sont présentés chez eux. Le business est difficile et les galeristes font un travail remarquable ! En même temps, je trouve que les artistes français ne sont pas bien soutenus par le marché français. Les collectionneurs allemands ou italiens défendent à 100% leurs artistes, leurs productions ! Après, bon, il ne faut pas juger le travail d’un artiste par sa nationalité !
ST : Mais, y-a-t’ il une notion d’affinité culturelle ?
NF : Bien sûr, qu’il y a une notion d’affinité culturelle. Il est plus difficile de comprendre un artiste qui vient de loin culturellement et il est difficile de sortir de son environnement familier. Mais ça fait partie de l’aventure qu’est l’art contemporain. De s’ouvrir à une autre culture par le biais de l’art peut être passionnant surtout en compagnie de quelqu’un qui connait bien cette culture et qui peut nous aider à mettre le choses en perspective, et surtout nous apprendre à regarder le monde différemment et ainsi nous amener vers de nouveaux horizons.
ST : Un grand merci, Nathalie !